Extraits du journal de Lion Mardas
16 juin 203215 ans de guerres inutiles, 15 ans à servir ma patrie, les Etats-Unis d'Amérique devenue dictature. "Protéger et servir" fut ma devise et celle des anciens ayant connu la Démocratie, mais nos supérieurs ne juraient plus que par la force et l'oppression de ce régime totalitaire. 15 ans à tenir tête à ces hommes se croyant au-dessus de tout, jusqu'à ce que je décide de tout arrêter. Ce fut 15 ans de trop, à m'entraîner, à tuer, à servir des idéaux qui ne sont pas miens, que je n'approuvais pas. Ce fut 15 ans de perdus à profiter de la vie aux côtés de mes proches, ma femme et mes enfants. Je ne désire plus entrer dans un conflit dont l'intérêt m'échappe, ma vie est avec ma famille, et rien d'autres.
Cependant, au fond de moi, je sais que cette guerre ne se finira jamais, ou plutôt se terminera par la fin de toute vie. Aussi, pour me tenir aussi loin possible des dogmes de ma contrée, j'ai préféré partir me réfugier en Allemagne, avec ma femme Doris, et mes deux filles, Lera et Aurelia, respectivement 6 ans et 4 ans. Là-bas, j'espère vivre vraiment une vie normale, la guerre derrière moi, et surtout voir grandir chaque jour mes enfants.
Que les conflits nous oublient, c'est tout ce que je demande.
23 février 2035Les bombes pleuvent, toutes plus dévastatrices qu'une "simple" bombe A. Si l'explosion ne nous tue pas, ça sera les radiations ou les séismes provoqués par les impacts assourdissants. Pendant un long mois, les crépitements, les tremblements de terre, les déflagrations quotidiennes d'une guerre qui nous dépasse de plus en plus en terme d'inutilité. Pourquoi d'anciens alliés se mettent-ils à s'entretuer au point de mettre toute la planète, toute l'humanité en péril? Quelle folie pouvait animer ces dirigeants peu regardant des dégâts qu'ils pouvaient infliger? Le monde sombre, la fin est proche. Avec Doris, nous essayons tant bien que mal de tenir et rassurer les enfants. Ils sont morts de peur, et se demandent eux aussi pourquoi… oui, pourquoi tant de haine, tant de bêtise. Nos vivres s'amenuisent de plus en plus, l'eau s'épuise et devient même non potable. Je sens encore Lera blottie tout contre moi, en larmes et toute tremblante, "Dors, mon ange. Papa est là, je t'abandonnerai pas." Plus par épuisement que par réel soulagement, elles finissent par fermer les yeux, plongées dans un profond sommeil.
Je regarde ma femme, les yeux dans les yeux. Et secoue la tête. Elle non plus ne croit pas en nos chances de survie.
2 mars 2035Le silence… plus d'explosion, plus aucun son audible de quelque arme de guerre. Rien de plus qu'un silence de mort, brisé par un vent de force moyenne. On n'entend plus âme qui vive, pas d'aboiement, ni de hennissement, ni de paroles. Les filles dorment un peu plus paisiblement, le calme et revenu. Mais nous ne sommes pas sauvés pour autant, avec tout l'armement nucléaire déployé, la surface était à coup sûr saturé en molécules irradiantes. Déposant délicatement Lera sans la réveiller, j'entreprends de vérifier la solidité de notre abri. Malheureusement, je ne peux que constater qu'indirectement nous étions morts. Une brèche donnant sur la surface, à peine dissimulée sous les gravats. Depuis près d'un mois, nous respirions de l'air contaminé. Nous l'étions certainement, des morts en sursis, ce n'est plus qu'une question de temps.
8 mars 2035Léra est malade, très affaiblie avec une fièvre prononcée. Les mêmes symptômes sont apparus chez moi. Je peux à peine marcher ou écrire. J'ai même l'impression d'entendre comme des voix dans ma tête, des voix qui me sont vaguement familières mais pourtant Doris ne me parlait pas, de même qu'Aurelia. Elles demeurent en bonne santé, ce qui porte à croire qu'ils n'étaient pas irradiés, une chance pour eux. Mais il nous faut de l'aide, des secours. En bref, il faut que l'on sorte d'ici. Nous n'avons de toute façon plus rien à perdre.
9 mars 2035Désolation… c'est le premier mot qui m'était venu à l'esprit en constatant de mes yeux les ravages de cette guerre improbable. Tout a été dévasté, tout n'était que désert de cendres et de poussière, jonché ici et là par quelques ruines, tout ce qu'il restait de véhicules, maisons, immeubles même. Etions-nous les seuls survivants de cette hécatombe? La nuit demeure reine et pourtant ma montre indique l'après-midi. Une nuit particulière, un voile noir sur le monde comme balayé d'un simple revers de la main, le symbole du deuil de l'espèce humaine. Comment en étions-nous arrivés à ce point de non-retour? Pour quelles raisons ont-ils pu décider l'impensable? Comment allons-nous vivre désormais?
J'arrive à peine à tenir debout, j'ai du mal à respirer l'air nauséabond qui nous entoure. Ma femme demeure la seule apte à continuer d'avancer, Aurelia dans ses bras. L'état de santé de Lera empire, elle n'arrivait même pas à ouvrir les paupières tellement sa fièvre s'intensifie. Mais… mes yeux jouraient-ils des tours? Ne serait-ce pas un de ces mirages nous incitant à faire le pas de trop? Non… Doris fait de grands signes du bras, hurlant à plein poumons, signalant notre présence.
Tout devient noir, je n'ai eu que le temps de voir des ombres s'approcher de nous…
14 mars 2035Lentement mes paupières s'ouvrent, une lumière blanche m'éblouit, mes bras et mes jambes demeurent trop engourdis pour pouvoir vraiment les bouger. Ou suis-je? "N'essaie pas de bouger, mon chéri. Tu es dans un hôpital.". Hôpital? Comment est-ce possible? Tout n'a pas été détruit? Mais après tout je m'en fiche, nous sommes en vie… "Lera… où est-elle?", murmurai-je en direction de ma tendre épouse. Celle-ci me répond qu'elle va bien, qu'elle est hors de danger. Elle ajoute que les médecins ne pensaient pas que nous allions nous rétablir, et aussi vite. A croire qu'un ange gardien veillait sur nous malgré toutes ces horreurs subies. Mais je voulais être sûr, vérifier que je ne suis pas en plein rêve. En touchant, puis en prenant péniblement la main de Doris, un très léger sourire se dessine sur mes lèvres, rassuré.
La vie reprend ses droits. Nouvelles expériences, nouvelles épreuves, nouvelle vie.
7 avril 2036Je croyais les guerres terminées, les conflits enfouis sous des tonnes de gravats et de poussière nucléaire. Il n'en est rien. Depuis le désastre de 2035, les irradiations atomiques ont créé des changements de manière progressive dans le temps. Cette même évolution se voyait également sur Léra, comme par hasard les seuls ayant été touchés. Notre corps avait évolué, et apparemment nous n'étions pas les seuls à subir cette mutation du métabolisme. D'après ce que les spécialistes m'ont dit, l'exposition aux irradiations m'a donné une plus grande activité métabolique ce qui a pour conséquence des capacités physiques bien supérieures à celles du commun des mortels, mais malheureusement m'a aussi coûté ma fertilité. Adieu le désir d'un troisième enfant, une partie de moi s'est désagrégé et je dois désormais vivre avec cette tare. Ils me parlent aussi d'un développement plus important de l'activité cérébrale de ma fille, mais j'avoue n'avoir rien compris à la suite de son charabia scientifique. Et je m'en fiche en fin de compte, Lera va bien, c'est le principal.
Il paraît qu'on appelle ces hommes ou femmes ayant vu leur corps changer des "Moires". Je n'aime pas cette tendance à étiqueter les personnes différentes, cela incite au racisme. D'ailleurs j'en vois déjà les prémices par le regard méfiant que certains me jettent. Je ne suis pas Moire, je suis juste un homme, un père de famille, je veux juste vivre une vie normale. Je ne demande plus que ça. Mais dans un contexte post apocalyptique n'ayant rien à voir avec les romans ou mangas de science-fiction, quand on sait désormais que l'humanité entière est vouée à l'extinction, il est inutile de croire à cette utopie de la normalité. La notion de "race" est remise au goût du jour, et peu à peu de nouvelles cultures antisémites voient le jour, cette pression exercée par le culte de la différence poussant des couples pourtant soudés à se séparer. Je refuse cette fatalité, rien ne pourra provoquer la rupture de ma famille, et même si je suis différent, même si nos filles sont différentes l'une de l'autre, on reste et restera une famille, un père, une mère, deux enfants. Rien de moins.
9 décembre 2043La folie règne de nouveau dans le monde, les Moires prennent le dessus sur les hommes, assouvissant leur désir de pouvoir. Une nouvelle ère de terreur, instaurée par l'espèce autoproclamée "supérieure", ne voyant les hommes que comme esclaves. Encore une notion que je croyais abolie une bonne fois pour toutes, mais il faut croire que la différence entre deux peuples nous ramène plusieurs siècles en arrière, en plein colonialisme. Sommes-nous voués à nous entretuer? Il semblerait que l'Histoire nous le confirme au travers de plusieurs faits connus de tous. Le nazisme, l'Apartheid, une simple différence amène la haine et l'envie de montrer sa puissance. Les Moires ne sont pas mieux que les autres sur ce point là.
Nous sommes obligés de nous cacher car les humains sont traqués et amenés dans leur fief, la grande ville allemande de Francfort. Nous survivons dans notre cachette, comme nous l'avions fait lors de cette guerre éclair et terrible qui nous a tous changé. Mes filles ont peur, nous essayons de les rassurer, en vain. Elles revivent ce fameux mois maudit où nous attendions la Mort.
Une porte vole en éclat. Ils arrivent…
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Nous sommes le 13 juin 2050, et une nouvelle page de mon journal s'ouvre. Ces sept dernières années ont été un véritable enfer, et même l'Enfer pouvait être un vrai paradis comparé à cela. Pendant sept longues années, j'ai été humilié, torturé, tabassé, énucléé. Ils m'ont obligé à regarder ma femme subir tous les vices d'une femme-objet. Elle était une battante, ne criant pas une fois, ne pleurant pas, elle me regardait dans le blanc des yeux. Je l'ai vue lorsque les Moires l'ont sommairement exécutée d'une balle en pleine tête, je l'entends encore... sa boîte crânienne exploser dans un bruit horrible, je la vois encore... sa cervelle gicler sur quelques mètres, je la revois encore... me regarder une dernière fois dans les yeux, et murmurer "je t'aime"... une dernière fois. Et ma fille, la plus jeune, Aurelia... une autre exécution, brutale, sale, marquant à vif mon esprit à jamais rongé par la souffrance. Elle n'avait que 16 ans... Quant à Lera, elle fut emmené quelque part, loin de moi, je n'ai plus que le souvenir de son visage autrefois si radieux. Un souvenir de plus en plus flou...
La douleur, je la ressentais de moins en moins, mon oeil ne me faisait plus souffrir je tenais bon, car je n'avais qu'une idée en tête, une seule...leur faire payer au centuple. Une force nouvelle m'envahit chaque jour passé dans cette cellule, chaque torture devint de moins en moins douloureuse. Je n'ai plus rien... j'ai donc attendu patiemment la bonne opportunité. La haine est mon sang, la colère est ma force. Jusqu'à ce jour où je brise mes chaînes, hurlant de toute ma rage, ils me le paieront, ces bâtards, je les tuerai jusqu'au dernier.
Ce qui ne me tue pas me rend plus fort, et je vous le prouverai.
Toi, humain qui est en train de lire ce journal, prends les armes, sois fort et courageux. Serre le poing et porte le sur ton coeur, car il n'appartient qu'à toi. Ils ont le pouvoir, nous avons le nombre, et ensemble comme un seul homme dressé sur leur chemin, nous nous libèrerons de nos chaînes, et ils paieront pour le mal qu'ils ont fait à nos enfants. le message doit être passé.
Toi, Moire qui est en train de lire ce journal, tu es condamné à périr, car c'est écrit dans ton sang. Qui que tu sois, où que tu ailles, tu n'auras aucun répit car je te traquerai comme le dernier des gibiers. Tu vas savoir ce que c'est que d'être pourchassé, d'être traité comme de la merde, d'être le jouet d'un autre. Et quand tu sauras enfin ce que l'on ressent à ce moment là, tu rejoindras tous tes congénères, qu'ils soient hommes, femmes ou enfants, je ne ferai aucune distinction, car vous êtes des Moires. Et tu ne feras plus aucun mal quand ta tête explosera d'une de mes balles.
Je suis Lion Mardas. Rappelez-vous de mon nom, car vous me trouverez devant vous, le canon de mon arme collé au beau milieu de votre front.
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Dans le quartier Moire, plus précisément dans une place généralement fréquentée, mais ici déserte à cette heure de la "nuit", se balance au bout d'une corde accrochée à un arbre artificiel le corps d'une femme, une Moire, complètement nue, dont les tripes saillant d'une plaie béante à l'abdomen gisaient sur le sol, encore tièdes. sur tout son corps, de multiples lacérations, et au beau milieu de son front, un trou de la taille d'une balle de gros calibre.
Elle fut une tortionnaire...
A ses pieds se trouve un vieux journal.